Homélie pour la messe chrismale
Désormais, dans presque tous les diocèses, la messe chrismale est séparée du triduum pascal. Auparavant elle était célébrée un peu en catimini le jeudi saint au matin. Le fait qu’elle soit un peu plus à distance du triduum pascal nous permet de la recevoir différemment, comme une célébration de toute l’Eglise diocésaine, pour toute l’Eglise diocésaine, comme un renouvellement de nos promesses. Si nous devions renouveler nos promesses pendant le triduum, les promesses sacerdotales seraient renouvelées le jeudi matin pour la messe chrismale, les promesse diaconales le jeudi soir, au lavement des pieds, les promesses baptismales pendant la veillée pascale. Aujourd’hui nous sommes rassemblées, mais à partir de demain vous serez tous dans vos paroisses, vos lieux de mission. Il est très signifiant que nous puissions ensemble devant Jésus lui redire notre joie de le servir, notre désir d’être envoyés, et notre passion pour les destinataires de l’Evangile, les pauvres, les fidèles, les gens. C’est l’humanité tout entière qui a le droit de recevoir l’amour du Christ, qui a le droit de recevoir l’annonce bouleversante de l’amour de Dieu pour chacun. Nous en sommes les témoins émerveillés et parfois les serviteurs. Il n’y a qu’un seul Seigneur, qu’un seul Sauveur, qu’un seul Dieu et Père de tous, et pourtant, il a besoin de nous, il a besoin de prêtres qui dans le sacerdoce ministériel ont une mission absolument unique et nécessaire. Il a besoin de diacres pour exprimer combien le service est au cœur de la mission, il a besoin de consacrés qui expriment non seulement par leur action, mais par leur vie entière, que Dieu est amour, qu’il est la source de tout amour de toute vie, qu’à lui seul est due l’adoration véritable, et qu’il n’y a pas d’autre Dieu que lui. Il a besoin des fidèles laïcs, pour rejoindre les périphéries existentielles, pour rejoindre les gens dans leurs lieux de travail, dans leurs loisirs, dans leur famille, dans leurs joies comme dans leurs souffrances, dans ce qui fait leur vie. Oui le monde a le droit de connaitre l’amour de Dieu et son salut en Jésus. Dès lors, ces vocations que je viens d’évoquer, ces missions spécifiques, ne sont pas d’abord des droits qui impliqueraient des revendications, elles sont d’abord des devoirs impérieux et urgents. L’amour nous presse. Alors oui, chers baptisés, la mission n’est pas une option mais un devoir lié à notre baptême, la rencontre en vérité, dans le respect et parfois la délicate pudeur avec nos contemporains pour qu’ils connaissent Jésus, est une obligation. Le fait que Jésus se fasse connaitre aux autres, et qu’il ait choisi de se faire connaître par nous, ne doit pas dépendre de nos caractères, de nos sensibilités, de nos options pastorales, de nos opinions et encore moins de nos envies ou de nos humeurs. Et vous chers ministres ordonnés, le fait de se faire tout à tous, de transmettre la parole de Dieu et les sacrements, le fait de donner ce que vous avez reçu, ce n’est pas seulement une possibilité qui vous est offerte, c’est un travail, qui réclame de vous une disponibilité, certes mais aussi une formation, une réflexion, une intelligence de chaque situation pastorale. Nous n'avons plus le temps d’être les adeptes d’un courant de pensée, d’une sensibilité ou d’une façon de célébrer. Nous perdons souvent notre temps dans les comparaisons futiles et destructrices. Ce que je demande à tous, c’est d’être vous-mêmes, fidèles à la grâce que vous avez reçue, mais surtout d’être au service des autres, à l’écoute de gens, adaptables à chaque personne, à chaque situation, pour que chacun reçoive l’unique Evangile de Dieu mais de façon toujours nouvelle. Comme le disait le jeune Carlo Acutis, nous sommes des originaux, nous ne sommes pas des photocopies, nous sommes absolument uniques dans et pour la mission, mais devant nous chaque personne à qui nous sommes envoyés est aussi absolument unique et donc les moyens que nous avons pour les rejoindre sont absolument originaux et réclament de nous une créativité sans cesse en recherche. Un seul Dieu, un seul Père, un seul Maitre, un seul Prêtre, mais des prêtres aussi différents les uns que les autres, des diacres rejoignant chaque situation de façon unique, des consacrés et des laïcs en mission qui soient autant de disciples de Jésus, aussi différents que l’étaient les disciples du temps de Jésus.
Tout cela est très exigeant, donc lorsque je vais vous demander de renouveler votre fidélité à l’unique Seigneur, lorsque je vais vous envoyer en mission, ce n’est pas une option. Fini le temps des replis sur nous-mêmes et des revendications stériles, il est venu le temps de l’annonce joyeuse et enthousiaste. Que sa joie soit en vous pour que vous en débordiez auprès des autres, pour que vous vous réjouissiez toujours de la puissance de son amour, de la beauté de l’Eglise, qui ne manque de rien parce qu’heureusement, elle peut compter sur moi, certes, mais aussi sur tous les autres. Et si j’ai vécu un échec dans telle mission, un autre saura trouver les mots et les attitudes justes. Je vous demande seulement de respecter les gens, et qu’à aucun moment un enfant de Dieu ne soit empêché de le rejoindre par notre action, ou par notre inaction, par notre rigidité ou parce que nous serions timorés, par notre zèle mal ajusté ou par notre paresse autocentrée.
La célébration d’aujourd’hui n’est pas seulement un bon moment que nous passons ensemble, la liturgie du renouvellement des promesses n’est pas seulement un pieux rappel que nous existons. La célébration d’aujourd’hui nous engage, elle nous oblige.
Je vous le dis ce soir avec force, parce que je mesure ma faiblesse, mon incapacité à remplir la mission que le Seigneur m’a confiée, parce que j’ai tellement besoin de vous, de vous tous, de chacun ! Avec la mission que j’ai reçue de l’Eglise, j’ai reçu aussi, par pure grâce, le bonheur de pouvoir compter sur vous, la joie de vous aimer, d’un amour paternel, fraternel, conjugal, d’un amour pastoral, mais je sais en même temps que le seul amour dont vous ayez besoin, ce n’est pas le mien, tellement pauvre, tellement infidèle, le seul véritable amour auquel tout mon ministère renvoie, c’est celui de Jésus Christ, l’unique pasteur dont je porte en tremblant la houlette. Oui ma mission, comme la mission de chacun d’entre vous, qui que vous soyez, c’est de conduire à Jésus. Et si je suis faible, il sera fort, par d’autres que moi, et si je suis infidèle, il sera fidèle, par d’autres que moi…par vous sans qui ma mission n’a aucun sens et aucune fécondité, parce que, comme le dit saint Paul aux thessaloniciens, « il est fidèle Celui qui vous appelle ! »
+Emmanuel Gobilliard