Extrait de la revue Etoile Notre Dame n° 332 Septembre 2023
Il est un fait bien regrettable que la manière d'aménager les autels, et en particulier la question des cierges, ne semble aujourd'hui dans les célébrations en forme ordinaire obéir à aucune règle. Dans ce domaine, c'est, hélas l'arbitraire qui règnent, ce qui contribue à enraciner dans les esprits l'idée fausse que la forme ordinaire est quelque chose d'informe et vague, et que le missel issu de la réforme liturgique ne serait qu'un « no man's land» liturgique livré à toutes les improvisations et aux goûts les plus subjectifs du célébrant, de telle équipe liturgique ou communauté paroissiale. Dans telle paroisse, on ne met pas de cierges du tout ; dans telle autre, on pose sur un coin de l'autel un gros cierge « CCFD », avec, dans un autre coin, un petit bouquet de fleurs ; dans telle autre, on fonctionne encore autrement.
Perte de l'importance du symbolisme
Bien évidemment, tous ceux qui souhaitent rappeler que, dans la manière de célébrer la messe, des règles objectives existent et doivent être respectées passent pour des esprits étroits et rigides attachés à des détails sans importance. « Vous êtes un pharisien arc-bouté sur le ritualisme, s'entendent-ils répondre, l'essentiel c'est de prier, Jésus n'est pas venu instaurer des rites ».
Il semble que certains ont totalement perdu de vue l'importance du symbolisme, qui est pourtant constitutif même de toute la ritualité liturgique. Pour les Anciens, les mystères chrétiens étaient considérés comme des vérités trop profondes et trop riches pour pouvoir être appréhendées et exprimées uniquement à l'aide d'un discours humain. Tout mystère, pour être communiqué aux hommes, doit également être exprimé par la médiation de symboles, qui permettent à l'âme humaine de « saisir » intuitivement « quelque chose » du mystère tout en le respectant en tant que mystère.
Ainsi en est-il de la question des cierges : ils ne sont pas qu'un pur élément décoratif dont le nombre et l'aspect n'ont aucune importance, mais bien au contraire leur nombre, leur disposition, leur aspect, encadrés par les normes officielles et déterminées par la tradition reçue, expriment le mystère divin. La richesse du symbole contribue à rendre la liturgie nourrissante pour la vie spirituelle des fidèles.
Comme en toutes choses, il convient de consulter les normes qui régissent l'actuelle forme ordinaire. Puis, il convient d'interpréter la norme, non à la lumière des modes du moment, mais de la tradition reçue du rite romain telle qu'elle est parvenue jusqu'à nous. Au n° 117 de la Présentation Générale du Missel Romain (PGMR), nous lisons : « L'autel sera couvert d'au moins une nappe de couleur blanche. Sur l'autel ou alentour, on mettra des chandeliers avec des cierges allumés : au moins deux pour toute célébration, ou même quatre, ou six, surtout s'il s'agit de la messe dominicale ou d'une fête de précepte, ou encore sept si c'est l'évêque du diocèse qui célèbre. Il y aura aussi sur l'autel ou à proximité une croix avec l'effigie du Christ crucifié. Les chandeliers et la croix avec l'effigie du Christ crucifié pourront être portés dans la procession d'entrée. Sur l'autel même, on pourra mettre, à moins qu'on ne le porte dans la procession d'entrée, l'Évangéliaire, distinct du livre des autres lectures. »
L'interprétation à donner à cette norme, à la lumière de la tradition romaine est donc
la suivante : pour une messe de semaine, il convient d'allumer deux cierges. Pour une messe dominicale ou un jour de fête, on allumera au moins quatre cierges, de préférence six. Pour une messe célébrée solennellement par un évêque (messe pontificale ou épiscopale), on allumera sept cierges.
Selon l'usage traditionnel exprimant le mystère du lien entre Eucharistie et Sacrifice, on disposera toujours les cierges de manière symétrique de part et d'autre de la Croix qui, qu'elle soit posée sur l'autel ou disposée à proximité, devra toujours être placée au centre, de manière à constituer le point focalisant l'attention de toute l'assemblée.
Quelle signification aux cierges ? Un peu d'histoire
S'il est vrai que les cierges ont répondu, dans l'Église primitive, au besoin pratique d'éclairer, notamment lors de la prière des vigiles, ils avaient aussi un sens symbolique important qui justifiait leur utilisation diurne dans un but cultuel. Au Vème s., à Vigilance qui se moque de l'utilisation de cierges en plein jour, saint Jérôme répond : « Dans tout l'Orient, on allume des cierges pour lire l'Évangile quand le soleil brille. Ce n'est point pour chasser les ténèbres, mais en signe de joie ».
Traditionnellement et ce dans toute Eglise chrétienne, c'est la messe épiscopale, c'est à dire célébrée par l'évêque, qui est la messe normative et le modèle de toute liturgie eucharistique. En effet, l'évêque, en étant dépositaire de la plénitude du sacerdoce ministériel, représente le Christ-Tête, ce qui est clairement manifesté par la fameuse expression attribuée à saint Ignace d'Antioche : « là où est l'évêque, là est l'Eglise catholique ». C'est donc dans la messe solennelle célébrée par l'évêque entouré de son presbyterium, de ses diacres et de la communauté des fidèles baptisés que se réalise dans toute sa plénitude le mystère de l'Eglise. Or, pour la messe épiscopale, la PGMR, rappelant ainsi une tradition multiséculaire, prescrit comme nous l'avons vu d'allumer sept cierges d'autel.
Pourquoi ce chiffre de sept cierges ?
Dans son ouvrage Les racines juives de la messe, le Père Jean-Baptiste Nadler écrit : « Dans le premier récit de la création de l'univers en sept jours, la lumière et les différents luminaires ont une place importante. Dieu, qui est Lumière, est aussi le créateur de la lumière : « Que la lumière soit, dit-il. Et la lumière fut » (Gn 1,3). Après avoir fait pousser les différents arbres, il crée les deux grands luminaires : le soleil et la lune. (Gn 1, 12.16). Dans le second récit de la création, le Seigneur plante un jardin en Eden, au milieu duquel pousse l'arbre de vie ; mais après la chute d'Adam et Eve, l'accès à cet arbre est défendu par le Seigneur Dieu « qui posta, à l'orient du jardin d'Eden, les Kéroubim, armés d'un glaive fulgurant, pour garder l'accès de l'arbre de vie » (Gn 3,24). Plus tard, lorsque Dieu révèle Son Nom à Moise, il le fait à partir d'un arbre et dans le feu : « L'ange du Seigneur lui apparut dans la flamme d'un buisson en feu » (Ex 3,22). Dans le Temple de Jérusalem, la mènera était le rappel liturgique de tous ces événements : un chandelier de lumière et de feu, tel un buisson dont les sept branches se rattachent au tronc central, planté près du Saint des Saints gardés par les chérubins où le grand-prêtre prononçait le Nom ineffable. En plaçant sur l'autel une croix, signe de la mort rédemptrice et de la victoire du Christ, entourée de sept cierges, la liturgie chrétienne accomplit parfaitement les figures de l'Ancien Testament que nous venons d'évoquer. La croix du Seigneur est cet arbre d'Eden dont le fruit, pain de vie, mais aussi fruit de la vigne véritable plantée par le Père, donne la vie éternelle ; la croix est aussi ce buisson de feu où le Nom de Dieu est parfaitement révélé ; elle est l'accomplissement total et le parachèvement de la création ; elle est le shabbat, le repos définitif en Dieu. »
La présence des sept cierges sur ou à proximité de l'autel n'est donc pas un élément arbitraire.
Richesse symbolique des éléments rituels de la liturgie
Les éléments rituels de notre tradition liturgique, dont certains peuvent apparaître à première vue comme des détails sans importance, plongent en réalité leurs racines, non seulement dans les pratiques liturgiques des tous premiers chrétiens, mais encore dans la ritualité hébraïque vétérotestamentaire, et contribuent de manière décisive à la richesse symbolique, et donc spirituelle, de la liturgie. Ne pas respecter les normes et ne pas mettre en oeuvre ce symbolisme, en plus de nous couper de nos racines et de nous éloigner de nos frères orientaux, contribue inévitablement à l'affadissement et à l'appauvrissement de nos célébrations, les rendant ainsi moins aptes à susciter et entretenir en nous la foi catholique reçue des Apôtres. C'est par la mise en œuvre fidèle de l'intégralité de la symbolique liturgique héritée de la grande Tradition chrétienne, que les catholiques pourront rendre à leur liturgie romaine cette « onction » - si nourrissante pour la vie intérieure - par laquelle elle devient véritablement « la source et le sommet de la vie de l'Eglise » (SC, 1,10). Saint Jean Chrysostome affirme : «Le mystère de cet autel de pierre est étonnant. Par sa nature, il est de pierre uniquement, mais il devient saint et sacré du fait de la présence du Christ. Etonnant mystère, certes, puisque cet autel de pierre devient lui-même, en quelque sorte, corps du Christ. »
Pourquoi des reliques de saints sont-elles placées à l'intérieur des autels ?
Dans une église, l'autel principal peut contenir des reliques. Cette pratique trouve ses origines dans les Saintes Écritures. En effet, elles sont généralement enchâssées dans une des pierres de l'autel. Il arrive aussi qu'elles soient rendues visibles dans des reliquaires spéciaux. Il s'agit d'un usage très ancien que l'Église perpétue, comme l'indique la présentation générale du Missel romain (PGMR) : « // est opportun de garder l'usage de déposer sous l'autel à dédicacer des reliques de saints, même non martyrs. On veillera cependant à vérifier l'authenticité de ces reliques. » (n°302)
D'où vient cette coutume ? (Extrait de Le saint sacrifice de la messe, Nicolas Gihr - fin du XIXe siècle) : « Le décret du pape Félix Ier (vers 270) ordonnant de célébrer la messe sur le tombeau des martyrs confirme une coutume depuis longtemps existante. Les premiers chrétiens avaient pour habitude de célébrer des messes dans les catacombes, sur les tombes des saints. Cet usage fut perpétué au moment de la construction des églises, en transférant les saintes reliques au sein des autels. Le lieu où les martyrs avaient été déposés, l'autel élevé sur leurs reliques, et même l'église qui le contenait, reçurent généralement le nom de confession (confessio,) ou de mémoire (memoria, monument). Il est intéressant de noter qu'un passage de la Bible fait une allusion prophétique à cet usage : « Je vis sous l'autel les âmes de ceux qui furent égorgés à cause de la parole de Dieu et du témoignage qu'ils avaient porté. » (Ap 6,9)
En ce sens, la pratique consistant à placer des reliques sous l'autel est éminemment biblique. Son but n'est pas de nous décentrer du culte que nous vouons au Christ et à son sacrifice au Calvaire, mais de nous rappeler que nous sommes appelés à suivre son exemple.
C'est au pied de l'autel sur lequel est offert le sacrifice eucharistique que les martyrs ont puisé la force de subir le martyre. Après avoir découvert les restes des saints Gervais et Protais, saint Ambroise les déposa sous l'autel. Dans un discours plein d'enthousiasme, il disait à son peuple : « Ces victimes triomphales ont leur place marquée là où se trouve Jésus Christ, l'hostie pure. Il est sur l'autel, car II a souffert pour tous les hommes ; elles sont sous l'autel, parce qu'elles ont été rachetées par sa Passion. Les saint martyrs ont droit à ce lieu de repos. »
Pourquoi le prêtre embrasse-t-il l'autel à la messe ?
Cette coutume liturgique très ancienne de l'Église date du IVe siècle. L'acte d'embrasser des objets sacrés est une tradition qui se retrouve dans de nombreuses religions depuis des millénaires. Cette pratique provient des cultures où le baiser est un symbole de respect et d'humilité. Une pratique qui s'étend aux objets représentant le divin.
En dehors des cultes païens, la tradition d'embrasser la table du repas les jours de fête s'est progressivement développée dans différentes cultures. Les chrétiens, en développant la liturgie, y ont inclus des pratiques de leur culture, leur donnant ainsi une nouvelle signification. Embrasser l'autel est donc devenu une partie intégrante de la messe. L'autel trouve son importance dans le saint sacrifice qui prend place dessus. Il est consacré par l'évêque lors de son installation dans une nouvelle église. La cérémonie de consécration ressemble joliment à celle d'un baptême car l'évêque bénit l'autel à l'huile sainte. Puis après les prières, il le recouvre d'un tissu blanc. Embrasser l'autel peut être vu comme une manière d'honorer son rôle dans la liturgie et la consécration de l'évêque. De manière plus symbolique, certains disent qu'il représente le Christ, « pierre angulaire » (Ep 2,20) de l'Église. Dans l'histoire de la liturgie, le prêtre embrasse parfois l'autel avant de bénir l'assemblée pour symboliser que la véritable bénédiction vient de Dieu. Le fait que le prêtre mette habituellement les mains sur l'autel en le baisant -et non le diacre - manifeste par ailleurs son pouvoir d'agir sacramentellement sur lui par son sacerdoce. Quand les reliques de saints furent introduites dans les autels. Le prêtre embrassait donc la relique en même temps. S'il est vrai que les autels sont des objets matériels, leur rôle leur confère un statut particulier. Embrasser l'autel est aussi symbole de reconnaissance de sa relation avec le divin sacrifice de Jésus Christ.
Fleurir l'autel ou non ?
Le Missel Romain explique ainsi que « les décorations florales doivent toujours être employées avec modération, elles doivent être disposées autour de l'autel plutôt que sur l’autel ». Pour approfondir, tout le chapitre n°5 de la PGMR mérite d'être lu et porté à la réflexion des équipes de « Fleurir en Liturgie ».
La PGMR doit être un instrument, un guide pour la liturgie eucharistique une référence qui peut nous aider, nous conseiller dans notre engagement pour la liturgie à tous les niveaux... •
Sources :
liturgie.catholique.fr
espritdelaliturgie.org
Présentation Générale du Missel Romain